La parution d’une analyse rétrospective remettant en question l’efficacité de la chloroquine et de son dérivé l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19 a fait sortir une centaine de scientifiques de leur silence. À travers une lettre ouverte, ces têtes bien faites ont demandé des comptes aux auteurs de ladite « étude » publiée dans la revue anglaise The Lancet vendredi 22 mai. Parmi eux, le Pr Oumar Gaye. Ancien chef du service Parasitologie médicale de la Faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta Diop, ce membre de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal (ANSTS), qui dirige actuellement le Malaria Research Capacity Development Consortium en Afrique de l’Ouest et du Centre (MARCAD), a accepté pour Dakaractu, de revenir sur les raisons qui l’ont poussé à s’associer à une telle démarche. Dans le même temps, le scientifique encourage le Sénégal à maintenir son traitement basé sur l’hydroxychloroquine et révèle à votre site que ses collaborateurs ont déposé un protocole devant le comité d’éthique pour l’utilisation de la chloroquine en prévention pour les groupes à risque exposés à la COVID-19. Entretien...
Dakaractu : Pourquoi avoir associé votre nom à la lettre écrite par une centaine de scientifiques suite à la publication d’une analyse rétrospective dans le Lancet, remettant en cause la chloroquine dans le traitement de la Covid-19. Que reprochez-vous à l’étude ?
Pr Oumar Gaye : Les recherches sur la COVID-19 intéressent de nombreux scientifiques et nous concernant particulièrement, celles portant sur les essais cliniques avec la chloroquine et l’hydroxychloroquine, des molécules longtemps utilisées en Afrique dans le combat contre le paludisme. L’étude parue dans le Lancet à partir d’une analyse de dossiers de malades hospitalisés dont certains en Afrique conclut à une augmentation de décès et de complications cardiaques lors de l’utilisation de ces molécules dans le traitement de la COVID -19. Les conclusions de l’étude et ses implications en santé publique ont amené 120 scientifiques à travers monde à s’y intéresser particulièrement ; de nombreuses questions sont soulevées parmi lesquelles des problèmes méthodologiques avec notamment des mauvais ajustements dans la sévérité de signes cliniques, les doses utilisées, les délais de prise en charge, la provenance des malades, en plus les investigateurs n’ont pas voulu partager les données brutes qui auraient permis une meilleure analyse de leur provenance au niveau des pays et des hôpitaux impliqués dans l’étude; ce sont quelques aspects qui affectent la qualité de l’étude et les signataires de la lettre ont adressé une série de questions et des propositions à la revue Lancet.
Espérez-vous vraiment avoir une réponse à la hauteur de vos attentes ?
Selon les procédures de bonnes pratiques cliniques et de règles éthiques, il est établi que les auteurs et les responsables de la revue fournissent les réponses aux questions posées surtout dans ce cas précis avec une pandémie où de nombreuses inconnues persistent. On évaluera avec le niveau des réponses fournies.
En Afrique, il a été noté plus de 400 décès alors que l’Afrique n’est représentée que par 30 hôpitaux ?
La précision des pays et des hôpitaux aurait permis une correcte analyse ; nous savons cependant que l’Afrique est la région la moins touchée et à la date de la publication de l’étude ces chiffres nous paraissent exagérés.
Comment jugez-vous la posture de l’OMS dans cette affaire ?
L’OMS a suspendu son étude « Solidarity » et secondairement a recommandé la suspension des autres études portant sur l’hydroxychloroquine ; Plusieurs études se déroulent actuellement avec pour certaines des résultats préliminaires plutôt rassurants surtout au niveau de la région Africaine ; Aussi nous pensons que la prudence aurait été mieux indiquée, les problèmes soulevés par la lettre ouverte en sont une bonne illustration.
Selon vous le Sénégal a-t-il raison de maintenir son traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine ?
Oui; les équipes cliniques de prise charge avec le Ministère de la Santé font régulièrement état de nombreux cas guéris dont plusieurs traités avec l’hydroxychloroquine. Il n’est pas signalé d’effets secondaires sévères ; il est à signaler que le protocole retenu ici au Sénégal coordonné par le Pr Seydi, est l’administration du traitement au début de l’apparition des signes cliniques, comme cela est fait dans certains pays africains.
Dans certains pays l’hydroxychloroquine est donnée en prophylaxie; devrait-on l’expérimenter au Sénégal ?
Pour l’instant ce sont des études qui sont menées et il y’a des raisons de penser que la chloroquine et l’hydroxychloroquine ayant une efficacité sur le traitement peuvent avoir un effet préventif ; la chloroquine a été utilisée au Sénégal en traitement et en prévention du paludisme pendant plusieurs décennies et bien tolérée ; ceci est bien documenté. Nous avons coordonné de nombreuses études dans ce domaine en collaboration avec le Ministère de la Santé. Un protocole de prévention de groupes à risque exposés à la COVID-19 utilisant la chloroquine est déposé au Comité d’éthique pour évaluation.
Vous révélez avoir déposé un protocole pour l’utilisation de la chloroquine en prévention. Où en sont les démarches ? Avez-vous espoir qu’il sera accepté ?
Nos collaborateurs ont fourni un certain nombre de réponses aux questions posées par le comité et nous pensons qu'elles seront bien prises en compte.
MARCAD Consortium Secretariat
Faculty of Medicine, Pharmacy and Odontology
University Cheikh Anta Diop (UCAD) of Dakar, Senegal